Lier innovations technologiques et innovations pédagogiques, n'est-ce pas déjà provocateur? Mais prétendre que les innovations pédagogiques soient filles des innovations technologiques, n'est-ce pas être un peu masochiste et aimer recevoir des coups?
Il est vrai que les salles de classe ayant quasiment peu évolué en l'espace de 150 ans (hormis la disparition de l'estrade), leur structuration est pour nous comme l'air que l'on respire, une évidence que l'on ne questionne pas.
Un tableau noir, vert ou blanc, des tables et des chaises, des cahiers et des livres, des cartes murales... voila le décor (et les sueurs froides quand il fallait aller au tableau) pour toutes les générations confondues. N'est-ce pas toujours vrai aujourd'hui pour 95% de nos 650.000 salles de classe? La faute au 20ème siècle tant la ressemblance est grande, mixité exceptée, entre une classe de 1900 et celle de l'an 2000 ?
Seulement le monde est bouleversé par l'irruption massive des technologies de l'information, une banalité de dire qu'aucun espace de notre vie échappe à cette profonde mutation. Emploi, santé, culture, transport, communication... rien n'est comme avant. Imaginer que la salle de classe telle que nous la connaissons perdure est probablement incongru. Faut-il en avoir peur?
Le 19ème siècle, l'extraordinaire mutation
Il est pourtant facile de vérifier que ce sont des novations techniques qui nous ont permis de répondre aux grands défis qui se sont posés. Petit retour en arrière, l'école du 19ème siècle, n'a-t-elle pas connu des bouleversements peut-être plus importants?
Représentation d'une école vers 1833, le mode d'enseignement est quasi immuable depuis des siècles. Le maître individualise son enseignement, rituel du passage de chaque élève et du face à face. Nous sommes finalement toujours sur un principe du préceptorat, il a même été calculé que vers cette époque un maître passait 6 mn par élève et par jour. Quelle efficacité ce système pouvait-il avoir? Il ne faut donc pas trop s'étonner que 50% des hommes ne savent pas lire (quant aux femmes...).
Trois innovations majeures vont véritablement révolutionner le déroulement de la classe et améliorer de façon extraordinaire l'efficience de l'enseignement.
Le tableau noir
Bien sûr le tableau noir dont l'usage remonte au début du 19ème siècle aux Etats-Unis et qui se généralise en France vers 1850. Quasi une révolution copernicienne car nous passons du préceptorat au mode collectif, une donne essentielle pour aller vers une formation de masse. François Guizot l'auteur de la fameuse loi de 1833 obligeant les communes de plus de 500 habitants à entretenir une école incita fortement à l'utilisation de cet équipement. Véritable zone d'échange collectif (voire interactive), outil de collaboration visible et utilisable par tous, le tableau autorise l'enseignement mutualisé de la lecture, une nouvelle gestion de la dynamique du groupe. Tout à la fois espace d'écriture, d'explication, de correction... il devient possible pour un élève de suivre sur le tableau un raisonnement pas à pas tout en écoutant les explications.
Autour du tableau noir avec ses craies et son éponge se structure une nouvelle pratique pédagogique.
L'industrialisation du papier
Depuis plusieurs siècles la fabrication du papier est connue et comme souvent la Chine nous a précédé, mais c'est au 19ème siècle que la grande mutation s'opère en passant de l'artisanat à l'industrie lourde. Face aux difficultés d'approvisionnement en chiffons -principales matière première du papier- les papetiers se tournent vers le bois. Technique mécanique ou technique chimique de la production de pâte à papier de cellulose du bois, le résultat fut un prix divisé par 10 à partir des années 1850. Nouvelle source immédiate de renouveau de l'enseignement, le livre bien sûr qui va se développer mais aussi les cahiers. Jusqu'à maintenant les élèves écrivaient sur leur ardoise et lisaient dans le meilleur des cas des almanachs, l'accessibilité pour tous aux cahiers est un évènement majeur dans la pédagogie car la liaison écriture/lecture est un fait avéré pour faire reculer l'analphabétisme.
La plume en acier inusable
Mais depuis des siècles là aussi, les techniques d'écriture ont peu évolué, la plume d'oie tout droit sortie de la basse-cour était trempée dans un encrier. Connue déjà des Romains, elle dominera tout le Moyen-Age et la période classique, mais elle était d'usage difficile tant il en fallait de grande quantité (à elle seule la banque d'Angleterre en utilisait un million et demi par an !!) et de ce fait était un obstacle au développement de l'apprentissage de masse de l'écriture.
La révolution industrielle et le développement des aciers grâce aux machines à vapeur permis la fabrication de plume en acier inusable, véritable petite merveille qui se propagea comme une trainée de poudre dès 1850. En France la fameuse Sergent-Major fit l'unanimité, long règne qui s'arréta en 1960...
Cette plume est accompagnée dans les écoles dans le dernier tiers du 19ème siècle par une couleur symbolique qui fait son apparition, l'encre violette préparée par l'instituteur et distribuée dans les encriers en porcelaine encastrés dans le haut du pupitre. Nouvelle pédagogie toujours car avoir une bonne écriture est aussi important que de respecter l'orthographe ou de maîtriser les quatre opérations. Exercice difficile car il fallait beaucoup d'adresse pour la maîtriser, bien doser la plongée dans l'encrier, s'appliquer pour faire les pleins et les déliés. Toutes choses perdues aujourd'hui depuis l'avènement des crayons-bille et autres feutres.
Mais pour les petits, la révolution industrielle fut aussi présente et le crayon graphite venu d'Angleterre remplaça avantageusement celui au plomb dangereux, la formation pouvait commencer plus jeune.
Résistance, hostilité mais résultats
Les débats actuels sur le rôle, voire les méfaits des technologies n'est pas nouveau, au 19ème siècle nous retrouvons les mêmes hostilités et ce parmi les plus grands. Flaubert n'écrivait-il pas en 1865 à son ami Maxime du Camp: Prends garde! Tu es sur une pente! Tu as déjà abandonné les plumes d'oie pour les plumes en fer, ce qui est le fait d'une âme faible. Comme Victor Hugo, ils écrivirent toute leur vie avec cette plume d'oie ancestrale. Mais les résultats furent au rendez-vous, les technologies qui ont rendu possible l'éducation de masse confortées par les décisions politiques comme la loi de mars 1882 (Jules Ferry) rendant l'instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes, firent qu'au début du 20ème siècle le taux d'analphabétisme tomba en dessous des 4%.
Au 21ème siècle, les TIC et une nouvelle mutation.
Pourquoi en serait-il autrement avec les technologies d'aujourd'hui: Internet, multimédia, baladodiffusion, tableau blanc interactif, visioconférence... De nouvelles formes pédagogiques vont naître permettant probablement de garder cette idée essentielle du mode collectif, de la socialisation mais en développant corrélativement l'individualisation des apprentissages. Et probablement d'autres que nous n'envisageons pas encore.
La classe de la fin du 21ème siècle sera complètement différente de celle de la fin du 20ème, comme celle de la fin du 19ème le fut de celle de la fin du 18ème!
Il y a à mon sens confusion entre la technique, qui ne fait que permettre, et le déterminisme social qui nécessite. Ainsi la quantité de personnes sachant lire et écrire à différentes époques ne fait que refléter les besoins de ladite époque en personnel lettré.
C'est l'industrialisation puis la tertiarisation de la société qui rend aujourd'hui indispensable ce qui ne l'avait jamais été jusqu'alors. Ainsi "l'invention" du tableau noir ne provoque pas la naissance de l'alphabétisation de masse; c'est au contraire la nécessité créée par la révolution industrielle de disposer d'une main d'oeuvre sachant lire et écrire qui à provoqué cette "invention".
Rédigé par : jack | 05 juillet 2010 à 14:17