Ax-les-Thermes (09), à quelque jours de la rentrée LUDOVIA 2016 achève ses travaux, les 800 participants de l'Université d'été de l'e-éducation ont pu échanger autour du thème principal Présence, attention et engagement en classe avec le numérique. Lieu commun de rappeler que le numérique, phénomène irréversible, produit des mutations sociales profondes. Mais la place du numérique à l'école va-t-elle naturellement de soi?
Focalisé depuis plus de dix ans sur les questions d'équipement, de maintenance ou de budget, questions qui ont évidemment leur importance, les aspects quantitatifs ont pris le dessus sur les aspects qualitatifs. Finalement, quels sont les effets de ces outils sur les apprentissages? Ne sont-ils pas comme certains détracteurs le laissent entendre des armes de distraction massive? Un appel à une école buissonnière virtuelle? Un rapport international de l'OCDE de septembre 2015 démontrait que, en soit, les outils du numérique non seulement n'apportaient pas un plus, mais au contraire pouvaient nuire aux apprentissages. Cette étude rappelant ce qui devrait être une évidence, c'est l'acte pédagogique qui est essentiel et la vrai question est comment cet acte pédagogique se renouvelle en intégrant le numérique?
Apprendre, une activité cognitive complexe
Jean-Marc Monteil, ex recteur, expert en sciences cognitives, introduit le séminaire scientifique de Ludovia en rappelant que l'attention est la mère de tout processus d’apprentissage. Sans attention, pas de possibilité pour traiter l'information, et nous, êtres humains, sommes une machine complexe à traiter l'information.
L'importance du contexte
Pour revenir à des considérations fondamentales, Jean-Marc Monteil pose la question de l'importance du contexte pour favoriser l'attention et les stratégies d’apprentissage, petit détour par la recherche pour en montrer l'importance. En simplifiant les principes de son raisonnement, allons à l'essentiel: l'étude part d'un 'détournement' d'un test neuropsychologique ancien et classique sur la mémoire. Vous prenez la Figure de Rey qui ne représente rien de connu et ne fait pas appel à des figures signifiantes, il faut 'simplement' reproduire de mémoire cette figure.
Le détournement consiste en une 'double manipulations'. D'une part la figure à mémoriser est présentée dans deux contextes scolaires différents, le premier est un cursus de mathématiques (de la géométrie), le second un cursus de dessin. D'autre part il y a deux groupes d'élèves, des 'bons élèves' et des 'élèves en difficulté'. Le résultat est sans appel, si nous prenons le groupe des 'mauvais', le même acte de mémorisation est très correctement fait quand il est présenté dans un cursus de dessin, par contre les résultats sont pitoyables quand il s'agit du cursus de géométrie. Les élèves ont construit leur propre estime de soi et ils ont intégré la hiérarchie niée par l’institution scolaire, la hiérarchie des matières.
Ils sont mauvais et ne peuvent donc être que mauvais dans la discipline noble, les mathématiques. Par contre dans un contexte de classe de dessin, discipline subalterne (dans l’inconscient collectif, peut-être pas si inconscient que cela), cela se passe correctement.
Quel peut être l'apport du numérique?
Le contexte est une variable essentielle du processus cognitif, l'enjeu est la contextualisation. Il faut produire des supports différents afin de pouvoir rencontrer la diversité des individus. Hors justement, l'habillage des tâches est une des grandes forces du numérique, il permet une plurialisation des présentations afin de répondre à chacun ou du moins de répondre à des groupes homogènes de personnes.
Les enseignants dans cette approche?
Si apprendre est une activité cognitive complexe alors le métier d'enseignant est bien évidemment difficile. Rôle essentiel mais changement de paradigme. Le prof ne peut plus parler à une classe, ou dit autrement il ne peut plus parler de façon homogène. Comment traiter des problèmes différemment dans un même lieu? Le numérique n'invente pas la pédagogie active mais la rend nécessaire, le prof passe du face à face au côte à côte (comme dans la classe inversée par exemple). Il doit identifier les groupes de ses élèves et construire un discours qui leur correspondent, le numérique avec ses contenus variés devient une aide indispensable. la géographie de la classe est impactée, comment continuer à travailler avec des classes organisées en rangs d’ognons?
Et les chercheurs?
L'apport de la recherche est vitale mais malheureusement la question de la relation entre recherche et enseignement est ouverte et faut-il le dire, n'avance guère, la formation des enseignants étant au demeurant quasi vierge de toute problématique scientifique au sens science de l'éducation. Peut-être pour une part imputable aux chercheurs eux-mêmes trop enclins à produire à tour de bras dans des revues spécialisées des textes illisibles. Mais aussi part de responsabilité de l'institution qui ne donne pas la pleine mesure à ces questionnements pourtant essentiels quand nous passons notre temps à nous lamenter sur l'échec scolaire. Les chercheurs ne devraient-ils pas aider à produire un corpus de base pour définir le socle de formation des enseignants?
Car la véritable lutte contre les inégalités, n'est-elle pas dans l'accroissement du potentiel de chacun?
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